Trump, Legends Holdings et promoteurs : mais dans quel brouillard navigue l’immobilier luxembourgeois ?

C’est la une des journaux ces derniers jours : Donald Trump avance ses pions… et ses tarifs douaniers. L’Union européenne se voit appliquer un taux de 20 %, se rapprochant des taux appliqués au Japon et à l’Inde, loin de la Chine qui hérite de la palme avec un taux de 108 %.
Il n’y a pas d’autre mot : c’est une guerre commerciale.
Mais en fait, non ! Le jeudi 9 avril, nouveau rebondissement : Trump fait marche arrière. Les tarifs tombent à 10 % pour tous les pays ouverts à la discussion, sauf la Chine, qui se retrouve propulsée à… 150 %. Et demain ? Peut-être 500 %. Peut-être plus rien. On n’en sait rien. C’est bien là tout le problème : le mot-clé, c’est l’incertitude que crée cette situation et cette politique.
Est-ce une invitation à la négociation ou un réel retour du protectionnisme made in USA ? Impossible à dire aujourd’hui. Ce que l’on sait, en revanche, c’est que cette stratégie affaiblit l’Europe sur deux fronts. D’abord parce qu’elle pourrait freiner nos exportations. Ensuite, parce qu’elle offre aux États-Unis un double avantage : une manne fiscale nouvelle via les tarifs, et une compétitivité fiscale accrue via la baisse de l’impôt sur les sociétés.
En face, les pays européens – déjà très endettés – et avec des taux d’impôt sur les sociétés élevés, verront leur activité ralentir, et donc leurs recettes fiscales potentiellement fondre. Il leur faudra bien compenser. Comment ? On peut s’en douter, en augmentant l’assiette fiscale.
Le Luxembourg, bien sûr, se distingue : dette faible, volonté de baisser les impôts… pour l’instant. Mais l’exposition de notre économie aux activités financières fait planer une ombre. Et pendant ce temps, l’inflation, nourrie par des droits de douane réciproques, continue de s’installer. Car oui : quand les tarifs augmentent, les prix suivent. Et quand les prix montent, les banques centrales réfléchissent à deux fois avant de baisser les taux. Nous avons abordé de nombreuses fois le lien entre les taux des banques centrales et l’évolution des prix en immobilier.
Nous sommes face à un dilemme classique mais redoutable : ralentissement de la croissance d’un côté, inflation persistante de l’autre. La fameuse stagflation. Et pour l’instant, aucune modélisation ne permet de prévoir avec certitude si cette inflation va se tasser ou s’installer durablement.
Mais revenons à nos moutons : l’immobilier. Dans cette incertitude, la prudence est de mise. Car les baisses de taux annoncées ne sont pas garanties.
Alors ce blog vise à aborder quelques événements actuels, dans un contexte luxembourgeois mais aussi international, en soulignant les fragilités à venir, car l’activité économique du pays, moteur de l’immobilier, reste dépendante de nombreux facteurs pas uniquement locaux. Nous verrons aussi que pour autant, l’immobilier conserve un atout clé : c’est un actif tangible, un rempart en période de crises et une opportunité.

Une stabilisation encourageante...
Parlons d'abord des aspects positifs. Côté chiffres, ce début 2025 laisse entrevoir quelques signes de stabilisation sur le marché de l'immobilier luxembourgeois. Selon les dernières données de l’Observatoire de l’Habitat, le prix moyen de vente au mètre carré a augmenté de 1,4 % au quatrième trimestre 2024 par rapport à l’année précédente. Pour les maisons anciennes, la hausse atteint même 3,5 %.
La baisse progressive des taux d'intérêt depuis fin 2024 contribue largement à cette dynamique. Emprunter coûte moins cher qu'il y a un an et les primo-accédants reviennent ainsi sur le marché, ce qui est loin d'être anecdotique : au Luxembourg, permettre aux jeunes d'accéder à la propriété est un enjeu national.
Là où ailleurs ce sujet se joue à l'échelle des villes, il concerne ici l'ensemble du territoire.
Mais il reste des fragiles : évoquons les banques et promoteurs sous tension
Mais attention à ne pas se laisser berner par des statistiques rassurantes. Car dans les coulisses, des tensions plus profondes apparaissent.
Un événement est passé dans l’actualité sans qu’on ne s’attarde davantage à ses potentielles conséquences sur le marché immobilier. C’est le cas de Legend Holdings et de la BIL. Le conglomérat chinois, actionnaire majoritaire de la Banque Internationale à Luxembourg (BIL), a annoncé son intention de se retirer. Et si la nouvelle a été perçue comme une simple opération financière, elle pourrait avoir des implications concrètes sur le crédit immobilier.
La BIL est en effet un partenaire de poids pour les promoteurs. Or, dans l’hypothèse d’une cession, la banque pourrait chercher à optimiser son bilan à court terme, ce qui se traduit souvent par une politique de crédit plus stricte, à des conditions d’emprunts moins accessibles.
À une période où les promoteurs font déjà face à une baisse de la demande, à des coûts de construction élevés et à des marges contraintes, un tel resserrement pourrait créer un véritable effet domino : projets retardés, chantiers annulés, difficultés de trésorerie pour les sous-traitants, et à terme, raréfaction de l’offre. Cela peut être anecdotique, mais quand on connaît le poids de la BIL dans le financement des promoteurs, il faut au moins avoir le mérite de signaler le risque.

Faillites et signaux d’alerte
Mais si on mentionne le cas de la BIL, c’est parce que la santé financière des promoteurs en général joue un rôle central dans la dynamique de l’offre en immobilier et particulièrement au Luxembourg. Et les cas de faillites se multiplient. En 2024, la mise en faillite de Greenfinch Capital Management a secoué l’écosystème local. Selon Paperjam, l’entreprise était liée à plusieurs entités immobilières, et sa chute a entraîné des conséquences en cascade. Elle a été prononcée à la suite d’un litige sur une facture impayée de 300 000 euros avec son auditeur, révélant des tensions profondes, malgré une apparente solidité du groupe.
Autre cas marquant : le projet « Ouschterbuer » à Oberkorn. Selon RTL, 19 maisons sont restées inachevées suite à la faillite du promoteur affilié au groupe Capelli. Ce ne sont pas que des chiffres : ce sont des familles abandonnées, des artisans impayés, des communes freinées dans leurs plans. Et dans un pays comme le Luxembourg, chaque chantier compte.
En France, le constat est tout aussi alarmant : selon Altares, 1 232 agences immobilières ont fait faillite en 2024 (+36 % en un an), et 308 projets de promotion immobilière ont été défaillants au 4e trimestre, selon la FPI. Le secteur de la construction a même enregistré une hausse de 26,3 % des défaillances (source : Ellisphere).
Alors après 3 ans de hausse de taux, et une situation où l’inflation n’est toujours pas réglée (personne ne sait comment elle va évoluer réellement), ça nous semble être une situation à réellement prendre au sérieux.

Un logement de plus en plus politique... et fiscal
Face ces tensions, globalement, les gouvernements réagissent. Au Luxembourg, l’État a prolongé jusqu’au 30 juin 2025 plusieurs mesures fiscales pour stimuler l’investissement privé : extension du crédit d’impôt "Bëllegen Akt" à 40 000 euros par personne, réduction temporaire de l’impôt sur les plus-values immobilières au quart du taux normal, amortissement accéléré de 6 % pendant six ans pour les logements en VEFA, et exonération partielle en cas de réinvestissement dans la location sociale ou durable.
Il semble que l'Etat n'a pas le choix, face à la crise du manque de logement, et ses prix faramineux, il doit trouver des réponses. Seulement, des mesures temporaires et limitées à des crédits fiscaux sont-elles suffisantes ? N'est-ce pas du côté du plan d'urbanisme archaïque qu'il faut se pencher ? Sur les normes et les procédures qui rendent l'obtention rapide du permis de construire un miracle ? Sur les investissements étatiques dans les logements sociaux ? Sur la baisse de l'impôt sur le revenu qui reste étouffant ? Cela est peut-être simpliste, mais il est évident qu'il y aura un moment "stop" où cela ne contentera plus les ménages luxembourgeois, et en particulier la jeunesse.
Admettons tout de même que ces mesures créent un environnement temporairement plus favorable à l’achat immobilier. Leur efficacité dépendra quand même de la capacité du marché à absorber ces incitations sans tomber dans la spéculation, c’est à dire que ces politiques aboutissent dans les bonnes mains, pas celles des spéculateurs. Si les projets se multiplient uniquement pour profiter de la fiscalité, sans demande réelle en face, le risque est de créer une surproduction mal orientée.
D’ailleurs en Europe, le logement est même devenu une cause de mobilisation sociale. En Espagne, les manifestations se sont multipliées par exemple pour dénoncer l’effet dévastateur d’Airbnb sur les loyers. À Barcelone, les prix ont bondi de 70 % entre 2014 et 2024. Les autorités ont réagi en annonçant l’interdiction progressive des locations touristiques d’ici 2028, ainsi qu’une enquête nationale sur la légalité des annonces. Ce sont des évènements qui seront intéressants à suivre.

Tensions géopolitiques, inflation et valeur refuge
Repartons après ces incertitudes sur des choses positives. Les difficultés évoquées jusqu’ici – faillites, coûts, incertitudes – pourraient faire penser que l’immobilier est à l’arrêt. Et pourtant. Dans un monde instable, la pierre reste un repère. Inflation en hausse aux États-Unis, tensions militaires en Ukraine et au Proche-Orient, taux d’intérêt volatils… l’immobilier européen conserve son rôle de valeur refuge.
Il s’inscrit aussi dans des dynamiques nouvelles : transition énergétique, relocalisation industrielle, sécurisation des infrastructures. En 2024, près de 2 000 milliards d’euros ont été investis dans la transition énergétique à l'échelle mondiale (source : AIE). L’immobilier devient ainsi un champ d’expression géopolitique. Les États redirigent les flux. Les investisseurs cherchent la résilience. Et le Luxembourg, bien qu’attirant, doit composer avec ses limites : foncier rare, lourdeurs administratives, forte dépendance à la frontalière. Il serait peut-être intéressant de penser à l'innovation, pour attirer les investissements extérieurs, et par les politiques fiscales, les orienter sur ce qui importe le plus, l'accession aux logements des ménages comme vous et moi.
Projets d’avenir
Malgré les vents contraires, le Luxembourg n’est pas à l’arrêt. En 2024, l’État a signé 15 actes de vente en VEFA (vente en l’état futur d’achèvement), représentant un total de 165 millions d’euros d’investissements publics. Ces projets, principalement situés dans les zones en croissance autour de la capitale et dans certaines communes stratégiques du Sud, incarnent une volonté politique claire : densifier de manière contrôlée, promouvoir la durabilité, et renforcer la mixité sociale.
Les nouvelles constructions intègrent de plus en plus de critères environnementaux exigeants (bâtiments passifs, matériaux biosourcés, gestion intelligente de l’énergie), mais aussi des objectifs sociaux : logements à prix modéré, équipements partagés, accès facilité aux services de proximité. On ne construit plus uniquement pour loger, mais pour structurer des quartiers durables, intégrés, résilients. Le foncier devient un bien stratégique, à la fois ressource et levier d’aménagement territorial.
Mais comme on le disait plus haut, entre la volonté affichée et la réalisation concrète, le décalage est réel. Le parcours administratif reste long et parfois décourageant : délais de délivrance des permis, contraintes réglementaires multiples, inertie entre les acteurs publics et privés. La flambée des prix des matériaux, la pénurie de main-d’œuvre qualifiée, et la prudence accrue des investisseurs allongent encore les délais d’exécution. Certains projets mettent plusieurs années à voir le jour, avec un risque d’obsolescence partielle à la livraison.
Faut-il y voir un simple ralentissement conjoncturel, ou une forme de maturité stratégique face à l’instabilité du monde ? Les deux, sans doute. Car à l’ère des transitions multiples (écologique, sociale, énergétique), construire vite n’est plus nécessairement construire mieux.
Un exemple positif est celui du projet Rout Lëns à Esch-sur-Alzette, une reconversion urbaine durable. Sur une ancienne friche industrielle de 10,5 hectares, ce futur quartier prévoit la construction de 1 400 logements, dont 30 % seront abordables, favorisant ainsi une mixité sociale. L’initiative intègre des solutions énergétiques innovantes, notamment un réseau de géothermie pour le chauffage et le refroidissement des bâtiments, contribuant à une empreinte carbone réduite. Le projet met l’accent sur la préservation du patrimoine industriel en réhabilitant des structures historiques, tout en créant des espaces verts et des zones piétonnes pour améliorer la qualité de vie des résidents. Les premiers logements devraient être livrés d’ici fin 2026.

Quand le dragon liquide ses actifs
Nous avons donc abordé les aspects locaux, mais finissons en prenant un peu de hauteur, en revenant à ce que l’on évoquait plus haut, les tensions internationales. La rivalité sino-américaine s’intensifie, et l’administration Trump – dans sa nouvelle campagne – cible de manière frontale les intérêts chinois. Tarifs punitifs, restrictions d’investissement, rhétorique martiale : Pékin est clairement désigné comme adversaire stratégique. Dans ce contexte, plusieurs conglomérats chinois revoient leur exposition à l’étranger. Le désengagement devient un réflexe de prudence.
Le cas de Legend Holdings, qui souhaite céder sa participation dans la BIL, est emblématique. Après une décennie d’expansion tous azimuts (Club Med, Volvo, Pirelli…), la Chine recentre ses groupes sur le marché intérieur et les secteurs jugés sensibles : high-tech, énergie, défense. L’immobilier européen, aussi solide soit-il, n’est plus une priorité. Et le Luxembourg, avec ses infrastructures bancaires performantes mais « périphériques » aux yeux de Pékin, devient une variable d’ajustement.
Mais cette décision, apparemment anodine, soulève des questions plus vastes. Que faire lorsque des actifs stratégiques – comme une banque majeure au niveau local – peuvent changer de mains pour des raisons totalement extérieures à notre contexte ? Sommes-nous encore souverains dans la maîtrise de nos leviers économiques ? Cette problématique dépasse la BIL. Elle renvoie à une tendance de fond : la financiarisation de l’immobilier et des infrastructures, où chaque acteur peut être arbitré selon des logiques qui nous échappent.
Dans ce paysage, l’immobilier devient bien plus qu’un simple actif tangible. Il est au carrefour de la géopolitique, des arbitrages de fonds souverains, et des stratégies globales. Et chaque immeuble, chaque parcelle, chaque crédit devient une pièce sur un échiquier dont les règles se décident ailleurs. Le Luxembourg, par sa taille et sa concentration, y est d’autant plus exposé. Il avance, en silence, entre brouillard et orage.
Conclusion : entre vigilance et opportunité
L’immobilier luxembourgeois traverse une période de turbulences, entre incertitudes géopolitiques, pressions économiques, et défis locaux bien concrets. Malgré tout, il reste un actif solide, qui continue d’attirer – mais qu’il faut désormais regarder différemment.
Acheter ou investir dans l’immobilier aujourd’hui, ce n’est plus juste une question de surface ou de rendement. C’est comprendre l’environnement autour : le quartier, les règles fiscales, les délais administratifs, les risques de revente, la fiscalité future… et même la solidité du promoteur.
Le Luxembourg reste attractif, c’est clair. Mais il ne faut pas se reposer là-dessus. Certains projets ont encore de belles perspectives, surtout ceux bien pensés, bien situés, avec un vrai besoin derrière. À l’inverse, d’autres méritent peut-être un peu plus de recul ou de prudence.
En résumé, que l’on soit investisseur ou simple particulier, le bon réflexe aujourd’hui, ce n’est pas de foncer ou de paniquer. C’est de prendre le temps de bien comprendre ce qu’on achète, pourquoi on l’achète, et ce que ça pourrait valoir demain.