Le 10 juillet 2024, le Luxembourg a adopté une réforme majeure concernant le bail à loyer, une initiative d’abord portée par Henri Kox sous le gouvernement précédent et finalisée sous le nouveau gouvernement Frieden-Bettel.

Il s’agit donc de l’application d’une loi qui a été pensée et rédigée par le précédent gouvernement, et reprise quasiment dans l’état par notre gouvernement actuel.

Cette législation vise à encadrer plus strictement le marché locatif en instaurant des règles qui touchent autant les locataires que les propriétaires. Seulement, derrière des idées qui semblent pertinentes, nous aimerions à travers ce blog en mesurer les effets, qui nous le verrons, ne seront pas forcément positif pour les locataires et risquent de compliquer la vie des propriétaires.

De la suppression de la notion de « logement de luxe » à la réduction de la garantie locative, chaque mesure vise à rétablir un équilibre tout en introduisant des défis et des opportunités pour le marché locatif luxembourgeois, mais dans quelle mesure ?

A travers de blog, nous verrons que cette réforme soulève plusieurs questions sur son impact réel sur le marché, notamment en ce qui concerne les frais d’agence immobilière, la gestion des loyers, tout cela dans un contexte de pression fiscale subie par les propriétaires.

L’objectif du blog est donc d’appréhender les divers points de la réforme tout en y apportant un regard critique.

La suppression de la notion de logement de luxe

Commençons par le point qui semble le plus simple, qui semble direct et immédiat, la suppression de la notion de « logement de luxe » , qui vise à éviter les abus dans la fixation des loyers pour des propriétés « prétendument » luxueuses au point de vue des rédacteurs de la nouvelle loi.

Cette mesure est conçue, selon le gouvernement, pour renforcer l’équité en « uniformisant les conditions de location ». En éliminant cette échappatoire, le gouvernement cherche à garantir que tous les logements, indépendamment de leur prétendu luxe, soient soumis à des règles de régulation plus strictes.

Pour rappeler le contexte, la notion de logement de luxe permettait d’aller au-delà du plafond des 5%, de capital investi, qui pour les logements classique limite le montant du loyer à ce seuil.

Toutefois, notons que cette approche n’est pas si évidente. En effet, l’option de supprimer simplement cette notion de luxe sans en aborder sa réalité parait un peu rapide. Cela impose le seuil de 5% sans aucune autre considération.

Pourquoi ne pas plutôt penser un système d’ajustement ? En fonction de critères objectifs. Un tel système d’ajustement des loyers existe en effet dans d’autres pays, notamment en Allemagne, et basé sur des critères de qualité.

Cela permet d’ajuster efficacement à la hausse ou à la baisse le fameux plafond du loyer lié au capital investi, qui est de 5% au Luxembourg, et qui ne reflète pas toujours en réalité l’investissement du propriétaire.

Si on corrèle par ces critères de qualité, l’investissement du propriétaire et le loyer demandé, on peut facilement faire varier ce plafond et cela avec une logique objective.

Ce système permettrait donc de moduler les loyers en fonction des caractéristiques spécifiques des logements, telles que l’efficacité énergétique et les équipements de confort. Cette méthode permettrait de maintenir un équilibre entre régulation et attractivité pour les investisseurs, tout en continuant à promouvoir des standards élevés pour les logements de qualité, et ne pas perdre ces caractéristiques de par la solution simpliste de la suppression. L’idée n’est pas compliquer le calcul de ce seuil, mais de réfléchir à quelques critères qui permettraient d’ajuster (à la hausse ou à la baisse) ce seuil des 5% qui semble très rigide.

La question de la réduction de la garantie locative

La réforme réduit la garantie locative de trois à deux mois de loyer pour faciliter l’accès au logement.

Ce changement fait en effet suite à de nombreux abus sur les garanties.

L’idée est donc d’ alléger le fardeau financier des locataires et à rendre la location plus accessible.

Encore une fois, étant donné la fragilité générale des locataires au Luxembourg, surtout pour les jeunes entrants sur le marché du travail, cela semble une bonne solution.

Mais il est plutôt clair qu’elle ne fonctionnera pas en pratique. Pourquoi ? Car la diminution de la garantie va inciter les bailleurs à ajuster les loyers à la hausse ou à renforcer les critères de sélection pour compenser le moindre montant garanti, ce qui, paradoxalement, pourrait rendre l’accès au logement plus difficile.

Baisser le montant de la garantie semble donc une bonne solution, mais il est plutôt évident que mécaniquement les propriétaires vont ajuster les loyers.

En théorie, le montant de la garantie (s’il est bien sur limité à trois mois), ne constitue pas le problème principal, c’est plutôt les conditions de la restitution de la garantie.  Car la réception de la garantie par le locataire, à la fin du bail, semble floue, et fait l’objet de nombreuses plaintes des locataires, qui en raison de procédures interminables, n’obtiennent parfois jamais leur dû.

Il est clair qu’en soi, la garantie est justifiable. Car elle permet de faire face à tout dommage causé à l’appartement pendant la location. Dans un marché où le propriétaire est en position de force, c’est aussi un critère de sélection, dans ce marché en tension, malheureusement.

Le gouvernement propose donc la réception automatique de la garantie suite à la fin du bail, ce qui est une bonne solution. Nous comprenons que la réduction de la garantie de trois à deux mois ne va pas drastiquement modifier le marché, et crée un risque pour le propriétaire, la réforme essentielle et bienvenue est donc la réception des garanties, qui pourra faire changer la donne puisque c’est aujourd’hui la principale problématique des locataires.

Il faudra simplement organiser cette réception automatique, en fixer les conditions, pour ne pas créer un risque sur le propriétaire, qui se verrait rendre la garantie alors que des dommages sont constatés dans l’appartement. Cela pourrait amener à des litiges cette fois ci du coté des propriétaires, ce qui n’est pas l’objectif souhaité.

Pourrait-on penser à d’autres modèles ?  le Luxembourg pourrait envisager la création d’un fonds de garantie locative, inspiré du modèle suédois (ou des modèles nordiques en général). Ce fonds, géré par une entité semi-publique ou publique, permettrait de couvrir les risques financiers pour les bailleurs tout en permettant aux locataires de ne payer qu’une garantie réduite. Une telle approche offrirait une sécurité supplémentaire aux propriétaires tout en maintenant une barrière d’entrée plus basse pour les locataires.

Partage des frais d’Agence Immobilière sur les bails

Dans ce contexte de changement au niveau des frais des agences, il faut d’abord rappeler la réalité économique. Bien que l’idée de partager les frais d’agence entre le locataire et le propriétaire puisse sembler juste en théorie, une répartition égale de 50/50 ne reflète pas totalement la réalité économique du marché immobilier luxembourgeois.

Dans un pays où la demande locative excède largement l’offre, les locataires sont souvent en position de devoir supporter une part importante des frais pour accéder à un logement. L’agence immobilière leur fournit des services clés, tels que la recherche du bien, l’organisation des visites, et la négociation des termes du bail, ce qui justifie historiquement et en pratique la part consacré par le locataires à la couverture des frais d’agence.

Bien sûr, les propriétaires bénéficient également de services de la part des agences. Ils bénéficient d’une valeur ajoutée, puisque les agences gèrent les annonces, sélectionne les locataires, prend en charge les démarches administratives et juridiques, et s’assure que toutes les étapes se déroulent conformément à la législation. Cette expertise permet non seulement de sécuriser la transaction, mais aussi d’accélérer la mise en location, ce qui est particulièrement avantageux dans un marché compétitif.

Toutefois, il est difficile de justifier cette nouvelle répartition quant on prend en compte le fait que les propriétaires doivent faire face à une pression fiscale importante, les revenus locatifs étant lourdement taxés au Luxembourg. Ce fardeau, que les locataires ne partagent pas, les pousse souvent à augmenter les loyers pour compenser les charges fiscales, d’autant plus lorsque le bien n’est pas entièrement payé. Quand on cumule la pression fiscale, et quand on ajoute l’idée de payer une partie des frais d’agence, il est évident que l’impact va être l’ajustement des loyers pour récupérer ces coûts.

Parallèlement, la gestion administrative et comptable va devenir plus complexe pour les agences, notamment s’il y a un retard d’une des parties, par un exemple un propriétaire qui se refuse au paiement. Cela risque d’entrainer des conditions plus strictes pour propriétaires et locataires.

Imaginons une situation où le propriétaire ne règle pas sa part, l’agence doit remettre les clés sans pour autant être payée ?

Il faudra donc s’organiser administrativement face à cette nouvelle répartition, gérer les risques qui y sont liés, et cela risque de créer des coûts supplémentaires au niveau des agences.

Il faut penser que ces nouvelles charges du propriétaire et des agences pourraient in fine peser sur les locataires, surtout si les propriétaires cherchent à récupérer leurs pertes fiscales et à ajuster les loyers de manière plus agressive en raison de cette modification.

Obligation d’un bail écrit

L’obligation de rédiger les contrats de bail par écrit est introduite pour améliorer la transparence et éviter les litiges. Bien que cette mesure vise à protéger les deux parties en assurant que les termes du bail sont clairs, elle pourrait aussi augmenter la complexité administrative pour les bailleurs, en particulier pour les transactions à faible valeur.

Pour alléger cette complexité, nous pensions à la promotion des contrats électroniques pourrait offrir une solution pratique. Nous lisions récemment un article sur l’Estonie, très en avance sur les solutions digitales. Là-bas, les contrats électroniques sont largement utilisés et facilitent une gestion simplifiée des baux tout en réduisant les risques d’erreurs. L’introduction de plateformes numériques pour la rédaction et la gestion des contrats au Luxembourg pourrait non seulement réduire les coûts administratifs mais aussi améliorer l’efficacité du processus. La plateforme MyGuichet.lu pourrait jouer un rôle dans cette transition numérique en offrant des outils pour la création et la gestion des contrats électroniques, simplifiant ainsi le processus pour les bailleurs et les locataires.

Pour éviter les risques liés à la gestion de ces entrées, les agences, comme cela existe en matière fiscale pour les conseillers fiscaux, pourraient accéder aux données avec un proxy (en tant qu’intermédiaire) annexé au bail écrit et gérer ces contrats.

Réglementation de la colocation

La réforme impose des règles spécifiques pour les colocations, mais la principale mesure concerne l’introduction du préavis de trois mois et la recherche d’un colocataire remplaçant en cas de départ.

Elle réaffirme le principe du pacte de colocation. Inspiré du modèle belge, il impose une série de règles destinées à structurer la vie en colocation. Ce pacte organise la répartition des charges et du loyer entre colocataires, régule l’arrivée et le départ d’un colocataire, et fixe les conditions de gestion de la garantie locative et des biens meubles. Il permet également de gérer les conflits entre colocataires et propose un cadre pour limiter les hausses de loyers à 5% du capital investi.

Malgré l’ambition de clarifier la gestion des colocations, plusieurs critiques ont émergé à l’encontre de ce pacte déjà à l’époque de son introduction. Premièrement, l’absence de sanctions en cas de non-respect du pacte affaiblit l’efficacité de ce dispositif. Les colocataires et les propriétaires ne sont pas contraints de respecter ces engagements, ce qui limite la portée de cette régulation.

Deuxièmement, on y revient de nouveau, la limitation des hausses de loyers à 5% du capital investi, bien qu’elle vise à protéger les colocataires, était déjà jugée inadaptée au contexte économique actuel. La colocation exigeant des installations spécifiques, la transformation de l’immeuble, est difficilement justifiable pour les colocations. Elle limitera en pratique les possibilités de transformer et de réaliser des travaux sur un logement pour le destiner à la colocation, ce qui est bien entendu dommage. Les critères de qualité que l’on mentionnait plus haut, mais aussi l’ajustement en fonction des travaux et installations réalisées, prendraient ici sens.

D’un autre côté, il faut faire attention à la pression sur les loyers, puisque sur ce seuil fixe de 5%, non modulable, pourrait inciter à louer en colocation plutôt qu’à une seule famille, en maximisant le plafond de 5% sur plusieurs colocataires.

Enfin, la complexité administrative, notamment l’obligation pour les propriétaires de déclarer les chambres aux autorités, est toujours inquiétante. Le Syndicat des villes et des communes luxembourgeoises (Syvicol) craignait à l’époque que cette mesure n’alourdisse les processus pour les autorités locales et les propriétaires, compliquant davantage la gestion des colocations.

Nous estimons cependant que la carence liée à la colocation est surtout due à l’absence de réels dispositifs juridiques spécifiques à la colocation, non pas un pacte de colocataire, mais un bail spécifique, dont les éléments essentiels sont fixés par la loi, et ont un caractère contraignant (i.e., comme tout bail). On parle toujours de contrat de bail unique entre le bailleur et tous les colocataires, ce qui ne reflète en aucun cas la réalité juridique (et économique) de la situation.

Pour maintenir la flexibilité tout en assurant une gestion équitable, des modèles de contrats spécifiques pour les colocations pourraient être développés, et également des modèles de médiation. Aux États-Unis, par exemple, des plateformes de colocation offrent des outils de médiation et des services facilitant la gestion des conflits entre colocataires.

Le plafonnement des loyers

Revenons à ce que nous avions discuté sur la question des logements de Luxe. Le maintien du plafond de 5% du capital investi, est destiné à limiter les hausses de loyers.

Notons d’abord que la suppression de l’ajustement basé sur la performance énergétique des logements pourrait réduire les incitations à améliorer l’efficacité énergétique des propriétés.

Pour encourager les améliorations écologiques tout en maintenant une régulation efficace, et en reprenant l’idée des critères de qualité, le Luxembourg pourrait s’inspirer de modèles où les ajustements de loyers sont liés aux caractéristiques écologiques et à la qualité des logements (i.e, pour ce dernier critère, directement lié au capital investi en pratique).

Une régulation dynamique prenant en compte la performance énergétique pourrait stimuler les investissements dans des améliorations écologiques tout en assurant une régulation adaptée aux caractéristiques des logements.

Bien sûr, on ne peut pas procéder cas par cas, il faut donc appréhender des critères objectifs, avec des ajustements adéquats et justifiés en pratique.

 

Un article de Van Maurits Immobilière.

Credit photos: Expect Best/ energepic.com