En cette période d’inflation grandissante, les loyers n’échappent pas à l’augmentation générale des prix, même si la hausse est bien plus tempérée que d’autres secteurs, avec des hausses de +3,5% sur les maisons, de +3,9% pour les appartements sur le dernier trimestre selon les données de l’observatoire de l’habitat. Le ministère du logement ne relève qu’une hausse de 1,2% sur la dernière année pour les appartements.

Quoi qu’il en soit, les loyers restent très élevés, le nombre d’offres de location diminue de surcroît (sur les derniers semestres entre -5% et -15% selon le type de biens), et l’inflation, risque pour le pouvoir d’achat, ne risque pas d’améliorer la situation. C’est dans ce contexte que la colocation peut sembler être une solution, partager les logements à plusieurs, pour augmenter l’offre disponible, et éventuellement bénéficier de logements moins coûteux.

En tout cas, le secteur a le vent en poupe dans toutes les grandes villes d’Europe, de nouveaux business s’implantent, citons la Start-Up Colonies (solutions de coliving) au Luxembourg, déjà présente en France, Belgique et Allemagne, et de plus en plus de particuliers cherchent aussi à mettre leurs biens à disposition de colocataires.

Les jeunes actifs, les étudiants (toujours plus nombreux à l’Université de Luxembourg, qui ne propose pas de chambre à moins de 450 euros à l’heure actuelle), sont, à défaut de pouvoir louer un appartement, les cibles de ce marché, qui relève souvent de l’obligation s’il on ne veut pas travailler à deux heures de trajet de son lieu d’habitation. La location est de moins en moins accessible aux jeunes, nous pouvons douter que l’accord tripartite et les aides au logement changent la donne, rappelons que l’Etat procède au cumul des salaires dans le calcul des aides pour un couple (la communauté domestique pour le ministère), dont la subvention est très souvent perdue lors de l’aménagement à deux. La colocation se développe donc, mais est ce que le Luxembourg est réellement prêt à cet essor ?

La colocation souffre d’un problème majeur au Luxembourg : son flou juridique.  Et ce malgré le projet de réforme de 2020. Explications.

Deux aspects en sont principalement responsables, le premier est lié à la question de la cohabitation (les logements sont-ils prévus ou non pour accueillir des personnes sans aucun lien entre eux), et le deuxième est celui du bail d’habitation, lorsque des locataires, qui ne se connaissent pas entre eux, vont et viennent, louent des parties communes, partagent une garantie, etc, la question de l’organisation de la colocation à travers un contrat se pose, et force est de constater qu’aucun régime spécifique n’existe.

Il y a en pratique la solution de baux individuels, où chaque locataire signe son propre contrat de bail, qui indique l’espace dont le locataire a la jouissance exclusive. Mais il est alors nécessaire de noter spécifiquement les meubles en commun et propres à chaque colocataire, l’espace en commun, ce qui, en fonction de la durée de location, peut être fastidieux. Il faut en outre signer une convention commune qui lie l’ensemble des contrats (notamment pour que l’espace en commun soit précisément défini), qui devra en théorie être signé une nouvelle fois à chaque nouveau colocataire.

Bien sûr, il existe aussi les contrats uniques, chaque locataire doit signer le contrat, il n’y a qu’une seule garantie et un état des lieux. Le souci est que la répartition de l’espace est difficile à établir par contrat (la limite en privé et commun est floue), et, en cas d’impayés, en cas de dégradations, il est impératif d’avoir pensé préalablement à stipuler une clause de solidarité. On parle aussi d’obligation solidaire, c’est-à-dire que chaque colocataire doit être en mesure d’assumer l’ensemble du loyer et des charges si un autre colocataire fait défaut, à sa charge ensuite de se retourner contre le dernier pour être dédommagé. Ce n’est donc absolument pas pratique, et on attendait ainsi de la réforme de 2020 (qui propose une modification de la loi de 2006 sur les baux d’habitation pour introduire des dispositions spécifiques à la colocation), de créer un réel cadre juridique afin de simplifier la démarche à la fois des bailleurs et des colocataires.

Il y a dans cette réforme des aspects positifs, notons par exemple, du point de vue du propriétaire, la reprise de la clause de solidarité dans le texte afin de la généraliser (si la créance est divisée entre chaque colocataire, uniquement à proportion de sa part, le propriétaire bailleur a peu de chance de récupérer sa créance), et du point de vue du colocataire, l’aménagement des préavis à 3 mois afin de quitter plus facilement le logement, et surtout un minimum de cadre afin de définir si le colocataire sortant doit trouver un colocataire remplaçant, les modalités qui en découlent, la libération de son obligation si le colocataire a fait des démarches suffisantes se soldant par un échec (et le maintien de la solidarité s’il n’effectue pas les recherches au contraire).

Il y également l’introduction du pacte de colocation, qui prévoit la répartition du loyer entre colocataires, des charges communes, l’inventaire des meubles, les modalités des contrats d’assurance, les modalités d’arrivée, de départ et de remplacement d’un colocataire, de la récupération de la garantie locative ou encore de résolution des conflits entre les colocataires. Tout cela est positif mais la réforme souffre d’un point essentiel : elle n’est pas contraignante. C’est-à-dire que ce nouveau cadre est une option, et non une obligation. On pourra signer un pacte de colocation ou non. Le Luxembourg a besoin d’un cadre juridique contraignant, afin de réguler la colocation, et faire en sorte qu’aucun vide juridique n’existe. Cela aurait réellement favoriser l’essor de la colocation dans le pays en rassurant les bailleurs.

D’autant plus que le contrat de bail n’est pas le seul enjeu, nous évoquions plus haut la question de la cohabitation. Ces dernières années, la commune d’Esch sur Alzette avait mis en lumière cette interrogation, en tentant de résoudre le problème de chambres insalubres grandissantes dans la ville. Une réforme du PAG avait été envisagée, impliquant indirectement qu’un lien affectif ou familial était nécessaire afin de résider au sein d’un même logement familial (maison unifamiliale). L’idée est d’interdire l’occupation du logement par un trop grand nombre de personne. Indirectement, limiter la colocation. Cette proposition avait été critiqué par le gouvernement, et il faut en bref retenir que le PAG indique l’affectation d’un bien (par exemple, un bien unifamilial, ou collectif, comme un immeuble de résidence), et la colocation ne rentre pas dans cette définition. Donc on se retrouve d’un côté avec des mairies qui tentent de limiter la colocation afin d’éviter les abus, sans véritable moyen, et de l’autre, toujours aucun cadre juridique.

Comment un bailleur peut-il s’y retrouver ? Il y a bien un jugement du tribunal administratif (8 janvier 2018, numéro de rôle 38.557), qui explique qu’il n’est pas nécessaire de changer l’affectation d’un bien unifamilial (maison unifamiliale) en habitation collective en cas de collocation, autrement dit, pas de démarche spécifique à réaliser par le propriétaire. Il n’y aurait de plus pas d’autorisation spécifique à obtenir s’il souhaite construire une maison unifamiliale destinée à la collocation. Le problème est qu’un jugement du tribunal administratif ne suffit pas, cela ne supplémente pas la loi qui elle est imprécise. Vous comprenez bien que non seulement, le propriétaire, bailleur, prend un risque en mettant son logement en colocation puisqu’officiellement, les parties ou logements individualisés par le contrat de colocation n’existent pas, mais c’est surtout le colocataire, qui malgré l’existence d’un contrat de colocation qui juridiquement n’a pas d’existence distincte du bail d’habitation, loue un logement, qui potentiellement, n’est pas autorisé à accueillir différents locataires.  Vous avez donc des logements illégalement loués (d’où les inquiétudes de la mairie de Esch plus haut), la seule disposition existante est celle de la déclaration, par le propriétaire, du nombre de personnes maximum pouvant vivre dans le logement.

Tout cela est en réalité dommage, car la colocation pourrait représenter une solution à la crise du logement. Non pas une solution en soit, car la location ou l’accès à la propriété doivent rester la norme pour ceux qui désirent s’installer de manière permanente au Luxembourg, mais une solution pour les étudiants, pour les jeunes actifs notamment nouveaux arrivants qui souhaitent découvrir le pays et vivre une expérience plus brève et conviviale. Un cadre juridique clair motiverait les bailleurs, et la présence de colocations dans les grandes villes de nos voisins le témoigne (France, Allemagne, Belgique disposent d’un cadre).  Bien sûr, il faudra à ce titre surveiller l’évolution des loyers puisque la division d’un logement en plusieurs parties pourrait entrainer un gonflement du prix (au lieu de louer 1000 euros un logement, je loue à 4 colocataires 300 euros une partie du logement, gonflant le prix à 1200 euros par exemple). Le plafonnement du loyer à 5% de l’investissement serait autant hors sol qu’il l’est pour les loyers classiques actuellement pratiqués.

En attendant d’autres jurisprudences en complément de celle de 2018, une réforme sérieuse de la loi sur les baux d’habitation semble donc inévitable.

 

Un article de Van Maurits Immobilière

 

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