L’année 2022 a confirmé le bousculement du marché de l’immobilier et des emprunts bancaires, des ralentissements dans les prix et des taux d’emprunt toujours plus élevés, et dans ce contexte, promoteurs, petits comme grands, devront relever de nombreux défis. Sans surprise, ce seront les petites structures qui subiront davantage les conséquences de l’inflation, que celle-ci soit structurelle, nous envisagions à ce titre la conséquence directe de la hausse des taux d’emprunt dans un précédent blog, mais aussi conjoncturelle, avec des matériaux directement importés de l’Ukraine en pleine guerre.

 

Le prix des appartements en construction encore en hausse

Nous nous intéressons ici aux promoteurs réalisant des logements (plutôt que des bâtiments destinés à l’exploitation commerciale, industrielle, etc), et bien que le marché de l’immobilier ralentisse globalement, les VEFA (vente en état futur d’achèvement) montre une hausse de +5,7% au dernier semestre. Ce chiffre est toutefois à tempérer, car il est dû à une bascule d’une plus grande part des ventes dans les communes où le prix au m2 est plus élevé.

On pourrait donc dire que les ventes de logements neufs permettront aux promoteurs de s’en sortir grâce à cette augmentation (en réalisant un chiffre d’affaires plus élevé), en réalité, il n’en est rien.

 

La raison est relativement simple à entrevoir, et c’est là que l’impact est le plus significatif pour les plus petites structures. Car une société de promotion immobilière de taille importante peut se permettre de prendre le risque de construire un immeuble sans avoir préalablement vendu les logements, elle peut avoir les ressources nécessaires, et peut aussi obtenir plus facilement un financement du fait de l’importance de sa structure. Au contraire, le plus petit promoteur doit lui obligatoirement « vendre sur plan » afin que le projet puisse aboutir. Sans cela, pas de financement, car aucune garantie devant le banquier. On pourrait même discuter de la part de logement sur plan vendus nécessaire à constituer cette garantie (70% en pratique actuellement), cette part pourrait en effet augmenter car l’accès même aux prêts devient plus difficile.

 

On comprend donc que si les prix au m2 augmentent, que l’accès aux prêts pour les ménages est plus difficile (les taux d’intérêts forcent les ménages à revoir leur projet à la baisse ou à renoncer), alors tendanciellement, il est bien plus difficile pour un petit promoteur de vendre ses logements sur la base du plan. Le nombre de projets aboutissant à un financement doit donc logiquement baisser. On parle d’un recul global du carnet de commandes de 0,6 mois au 3e trimestre 2022.

 

Matériaux de construction et répercussion des coûts

 

Les immeubles ou logements neufs doivent mécaniquement augmenter en termes de prix de vente car il existe un indice de la construction qui assure la répercussion du coût des matières premières, des matériaux de construction sur le prix de vente. Autrement dit, mes matériaux me coûtent 15% de plus, j’augmente mon prix de 15%. Ça c’est la théorie, en pratique, les promoteurs peuvent-ils réellement répercuter ces coûts ? La question n’est pas du tout évidente, car non seulement il y a une hausse des coûts, mais il y aussi et carrément des pénuries.

 

En réalité, c’est ici encore une fois les petits promoteurs qui subissent le plus de dommages, car ils ne maîtrisent aucun élément de la chaîne. Les plus grosses entreprises de promotion (y compris luxembourgeoises) ont assuré leurs approvisionnements en matières premières et matériaux par acquisition d’entités qui les fournissaient. Cela ne règle pas entièrement la question du coût des matériaux, mais cela la facilite grandement, face à des petits promoteurs dont les fournisseurs imposent les prix. Dans ce contexte, on peut douter de la possibilité pour les plus petits promoteurs de répercuter entièrement leurs coûts en termes de matériaux, sans oublier les coûts de l’énergie qui augmentent également (et donc indirectement, ceux du transport), et les retards de chantier inévitables car dus aux pénuries.

 

Emprunt et apport

 

On évoquait plus haut la question du financement des promoteurs de petite taille, qui doivent vendre sur plan. La question de l’apport est aussi directement liée. En effet, l’apport n’est pas celui des ménages qui souhaitent acheter une résidence principale, quand l’on parle d’investissements, on table plutôt sur des apports à hauteur de 30%. Vous devez financer 30% de votre projet de promotion avec vos propres fonds.

Vous comprenez que l’investisseur et le prêteur se méfient.  D’autant plus que ce taux de 30%, fait que plus le coût de la construction est élevé, plus le montant de l’apport l’est aussi, et donc vos chances d’obtention de prêt s’amoindrissent. Le grand promoteur qui dispose d’une trésorerie solide est moins impacté par ce sujet. On parlerait globalement de 25% en moins de prêts accordés par les banques en la matière.

 

On notera par ailleurs que moins il y a de projets, plus l’offre en logement sera rare, et donc les prix des appartements poursuivront leur augmentation. C’est un cercle vicieux, et nous retournons ici au premier point évoqué à travers ce blog.

 

D’autres considérations communes aux grands promoteurs

 

L’inflation et les problématiques de financement touchent donc davantage les petits promoteurs. Mais cela ne veut pas dire que la situation luxembourgeoise ne soit très favorable aux plus grandes structures. Car il existe des problèmes plus communs, et notamment en ce qui concerne les autorisations de construire et l’évolution des PAP (plan d’aménagement particulier).

Pour donner quelques éléments d’explication, les PAP exécutent et précisent l’utilisation de chaque zone du plan d’aménagement général (PAG) au niveau d’une commune. Toute personne peut introduire une demande de PAP, par exemple, je dispose de terrains constructibles (en vertu du PAG), et je souhaite faire préciser cette zone sur le PAP de la commune afin de réaliser mon projet. Il faut également une autorisation de construire (dit « le permis ») pour toute construction, transformation ou démolition d’un immeuble.

Jusqu’ici, rien de problématique, le souci concerne les délais afin que ces démarches aboutissent. Dans certaines situations et communes, rien ne se passe avant moins de deux années. On constate aussi régulièrement des défaillances dans les équipes techniques à l’appui des communes notamment dans l’élaboration des PAP.  Il existe même des possibilités de moratoire afin de geler des projets/demandes d’autorisation si un nouveau PAG est à l’étude (à ce titre, regardez l’article 20 de la loi du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain).

 

Imaginez votre compromis ou contrat signé afin d’acquérir un terrain constructible (et toutes les problématiques de financement liées et évoquées plus haut), et celui-ci nécessite une demande de PAP. Vous ne pouvez rien faire avant le PAP défini et l’autorisation de construire. Cela freine toutes les sociétés de promotion, et encore une fois, cela défavorise plutôt les petites structures qui ne peuvent se permettre d’acquérir un terrain et de le garder plus de dix ans, il leur faut des ventes et des résultats pour exister. Le financement nécessite en outre souvent un rendement concrètement évaluable.

Des problèmes liés à l’emploi

 

Enfin, il y a également des problématiques liées à l’emploi dans le secteur de la construction. Pour rappel, la Chambre des métiers évoquait l’été dernier (juillet) une pénurie de main-d’œuvre avec un taux de 31 % de sociétés se déclarant gênées dans leur activité. Alors certes, c’est une statistique générale, et on a une tendance à la baisse des offres vacantes actuellement (faisant suite tout de même à ces mêmes pénuries ces derniers mois), certains évoquant même une hausse du chômage, mais il y a quand même plus de 17% de places vacantes en comparaison avec la même période l’année dernière.

 

Cette question se lie alors avec celle des prix du logement, puisque l’accès à la location ou à la propriété devient de plus en plus difficile, le Luxembourg attire forcément moins de candidats potentiels dans le secteur de la construction, qui ne peuvent se loger, et le métier dont les conditions de travail sont déjà difficiles (flexibilité des horaires, risques, etc) devient encore moins attractif. Ce sera donc un défi supplémentaire à relever dans les années qui suivent.

Un article de Van Maurits Immobilière.

Crédits photos ; Anna NekrashevichPhilipp SilbernaglYury Kim –  Matthias Zomer